Dans la vie, nous faisons face à divers traumatismes qui peuvent nous impacter de manière plus ou moins importante. Alors forcément, vos parents ou vos grands-parents ont certainement dû aussi subir des traumatismes dans leur vie.
Depuis peu, une question est sur toutes les lèvres : est-ce que les traumatismes se transmettent de génération en génération ?
(tiré de l’article https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/info-sante/les-traumatismes-se-transmettent-de-generation-en-generation_1759495.html)
Et justement, des scientifiques ont étudié la question et apportent, un début de réponse grâce à une étude publiée récemment dans le magazine Nature Neuroscience. Cette étude a été réalisée sur des souris mâles par Isabelle Mansuy, de l’école polytechnique fédérale de Zurich, en Suisse et son équipe de scientifiques. En exposant ces souris à un stress très important, cela a modifié la composition cellulaire de leurs spermatozoïdes. Par la suite, les scientifiques se sont aperçus que les générations suivantes souffraient des mêmes troubles du comportement que leurs ainés, alors qu’elles n’avaient pas fait face à des périodes de stress intense.
Comment les recherches ont-elles été menées ?
Le principe de cette étude est simple, l’équipe de scientifiques a pris des jeunes souriceaux mâles et les a séparés de leur mère très tôt et de façon brutale. Ce changement brisque a provoqué chez les souriceaux, divers troubles du comportement et de la personnalité tels que des prises de risques inconsidérés, des réactions asociales, des signes de dépression…
Après cela, l’équipe de scientifiques a observé ces souriceaux lorsqu’ils ont grandi puis lorsqu’ils ont donné naissance à la génération suivante, puis celle d’après. Le résultat semble sans appel, les enfants et petits-enfants souris avaient les mêmes troubles que leurs géniteurs, à des degrés identiques et même, parfois, plus importants. Pourtant, ces deux nouvelles générations n’ont pas été séparées de leur mère.
Comment cela peut-il être possible ?
Les scientifiques qui ont menés cette étude ont pu se rendre compte que certaines molécules (les micro-ARN) présentes dans les spermatozoïdes ou dans le cerveau, avait subit des changements lors de la séparation brutale. Ces molécules sont en lien direct avec l’ADN, par conséquent, ce seraient ces molécules qui seraient à l’origine de la transmission des traumatismes et non pas un effet héréditaire.
D’après cette étude, les générations suivantes auraient des troubles plus importants, pour la simple et bonne raison, que les molécules sont présentes dès la conception, contrairement aux géniteurs à l’origine de l’étude. C’est pour cela que les générations d’après sont beaucoup plus traumatisées, même sans jamais avoir subi de tels traumatismes.
Et qu’en est-il de l’être humain ?
Cela fait plus d’une dizaine d’année que des chercheurs et autres scientifiques essayent de déterminer si les traumatismes se transmettent de génération en génération chez les hommes. Si aucun résultat concret n’a pu être vraiment mis en évidence, il y a tout de même une étude, faites au Canada, qui montre que certaines victimes de viols ou d’abus sexuels, auraient des gênes liées au stress, qui fonctionneraient différemment par rapport à une personne n’ayant jamais vécu ce genre de traumatisme.
Pour le moment, cela ne prouve pas que ces traumatismes se transmettent aux descendants.
Audio (replay radio) :
Retranscription de l’audio :
Interlocuteur 1: Les traumatismes vécus par les parents ou les grands-parents peuvent-ils laisser une empreinte biologique transmise de génération en génération ? C’est le sujet de notre rendez-vous santé ce matin avec Caroline Tourbe, journaliste au magazine Science et Vie. Bonjour, Caroline.
Caroline: Bonjour.
Interlocuteur 1: Alors, cette hypothèse d’une transmission héréditaire des expériences traumatisantes, c’est bien sérieux ?
Caroline: En tout cas, certains scientifiques commencent à travailler sérieusement sur cette hypothèse, parmi eux Isabelle Mansuy de l’école polytechnique fédérale de Zurich, en Suisse. Dans une étude publiée la semaine dernière dans la revue Nature Neuroscience, la chercheur et son équipe a montré que chez des souris mâles qu’un stress intense dans les premiers jours de la vie modifie la composition cellulaire de leurs spermatozoïdes de façon durable. Ces altérations se retrouvent même chez les générations suivantes. Résultat, leurs descendants, qui n’ont pas subi de stress importants, développent néanmoins des troubles du comportement comparables à ceux de leurs géniteurs.
Interlocuteur 1: Alors, concrètement, comment les chercheurs ont-ils procédé ?
Caroline: Alors, le protocole expérimental est le suivant : des jeunes souriceaux sont séparés de leurs mères de manière précoce. C’est un peu cruel, mais c’est comme ça que ça se passe, les expériences sur le comportement. En grandissant, ces souriceaux développent des troubles assez comparables à la dépression : troubles de la mémoire, comportement d’évitement social, apathie, parfois également un goût pour la prise de risque inconsidérée. Ces animaux s’exposent à des dangers plus grands que leurs congénères sans montrer de peur, ce qui évoque des troubles de la personnalité borderline, pour les chercheurs. Et en observant les deux générations suivantes, enfants et petits-enfants issus de ces mâles souris traumatisés, les chercheurs ont constaté qu’ils souffraient des mêmes troubles du comportement, parfois même de manière plus prononcée encore, alors que ces souris n’avaient, elles, jamais subi de séparation précoce d’avec leur mère.
Interlocuteur 1: Quelque chose a donc été transmis d’une génération à l’autre, mais quoi précisément ?
Caroline: Et c’est là que l’expérience suisse revêt toute son importance. Dans le cerveau, dans le sang et dans les spermatozoïdes, les chercheurs ont découvert des modifications bien précises sur des molécules qui s’appellent « les micro-ARN ». Ce sont des molécules qui interagissent avec l’ADN. Ce qu’il faut retenir, c’est que cette transmission des expériences traumatisantes et ses conséquences sur le comportement n’est pas directement génétique. Je ne vous parle pas de gènes spécifiques pour les troubles du comportement, non. Non, là, le support de l’hérédité se serait une famille de molécules qui influencent la façon dont les gènes sont utilisés par l’organisme.
Interlocuteur 1: Mais alors, Caroline, pourquoi la deuxième génération semble-t-elle touchée par des troubles du comportement plus sévères ?
Caroline: Alors, Isabelle Mansuy, la chercheuse suisse, avance une hypothèse pour l’expliquer. Pour cette deuxième génération, les altérations des micro-ARN, les petites molécules dont je vous ai parlées, ces altérations, elles sont présentes dès la conception à la différence des premières souris traumatisées chez qui elles ne sont apparues qu’après la séparation d’avec leur mère. Ainsi, pour la deuxième génération, l’action des altérations se fait sentir au cours du développement fœtal et les troubles du comportement seraient donc plus marqués encore chez les descendants d’animaux traumatisés.
Interlocuteur 1: Alors, vous venez de le dire, ces observations concernent des animaux. Que peut-on déduire pour l’homme, maintenant ?
Caroline: Alors, cela fait presque dix ans que les neurobiologistes, les psychiatres, même les généticiens tournent autour de cette idée d’une trace biologique laissée par les traumatismes chez l’humain. L’une des études marquantes de ces dernières années a été menée au Canada, à l’université Mc Gill. Des analyses ont été faites sur des personnes victimes d’abus sexuels pendant l’enfance et des particularités biologiques ont été trouvées. Certains gènes liés au stress ne fonctionnaient pas tout à fait normalement. Si ce marqueur a bien été identifié, la transmission biologique de cette vulnérabilité au stress, elle, n’a jamais été observée jusqu’à présent chez l’humain. Alors évidemment, l’expérience menée sur des souris par l’équipe suisse n’est évidemment donc pas transposable à l’homme. Néanmoins, elle indique une direction de recherche inattendue. Ces fameux micro-ARN constituent très sûrement une piste intéressante pour mettre en évidence des marqueurs biologiques chez l’homme.
Interlocuteur 1: Mais la transmission héréditaire des traumatismes pourrait être une fatalité ?
Caroline: Non, et c’est très important de le souligner. Les marqueurs anormaux autour du fonctionnement des gènes peuvent se réparer au cours de la vie, c’est même, le plus souvent, le cas. Néanmoins, certains dysfonctionnements pourraient perdurer et les preuves restent à apporter chez l’homme. Dans le cas des traumatismes, il faudrait déjà vérifier dans des prises de sang par exemple que des modifications sur les micro-ARN sont bien détectables chez l’homme, chez les patients. Et ensuite seulement, il sera particulièrement intéressant de vérifier l’existence de ces mêmes modifications chez les parents et chez les enfants. Alors, bien évidemment, toutes ces études ne vont pas manquer de déclencher d’âpres débats sur le poids de l’inné et de l’acquis dans le destin des hommes. Mais en attendant, elles ont déjà le mérite d’apporter un éclairage inédit sur l’influence de notre environnement et sur la transmission de cette influence.
Interlocuteur 1: Info santé avec Caroline Tourbe. Merci, Caroline. On retrouve, bien sûr, cette chronique sur franceinfo.fr
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