À un moment ou à un autre de notre vie, nous sommes toutes et tous confrontés à de la souffrance. Tout d’abord, la nôtre, face à l’adversité et aux différents obstacles de l’existence, puis celle des autres : notre famille, notre communauté, mais aussi des personnes que nous ne rencontrerons jamais, dont les témoignages nous parviennent par les médias ou les réseaux sociaux.
Personne n’est à l’abri de catastrophes, de maladies, d’accidents de la vie.
L’attitude face à la souffrance varie d’un individu à l’autre : lorsqu’elle nous frappe et nous accable, nous pouvons tenter de l’appréhender, l’accepter ou, au contraire, la rejeter en bloc pour essayer d’y échapper.
En 2010, Cosley, McCoy et Saslow définissent la compassion comme un « souci du bien-être des autres ». Dans les enseignements classiques de la tradition bouddhiste, la compassion est définie comme « le cœur qui tremble face à la souffrance ». La compassion est une attitude volontaire et courageuse, porteuse d’espoir. La science se penche de plus en plus sur cette aptitude, cette capacité innée, que chacun de nous porte en soi.
La question se pose alors de savoir comment mobiliser nos ressources intérieures pour faire face à ce flux d’émotions négatives engendrées par la souffrance.
Comment la compassion se définit-elle ? Par quels moyens subtils et puissants permet-elle de faire face avec efficacité à la souffrance ? Enfin, comment la science permet-elle de révéler et formaliser les bienfaits de la compassion ?
1. Vers une définition de la compassion
C’est une constante de notre réalité : il suffit de regarder la télévision, de consulter le défilé d’informations sur les réseaux sociaux pour réaliser à quel point la souffrance fait partie du quotidien et de notre expérience globale en tant qu’être humain. On pourrait même songer qu’elle est l’accompagnatrice, l’éducatrice, même, de notre évolution.
Un océan de souffrances
Il y a d’abord les violences physiques qui englobent un vaste éventail de sensations désagréables, allant du malaise à la douleur plus ou moins intense, jusqu’à l’agonie. On peut se retrouver victime de maltraitance, de gifles, de coups ou de harcèlement. Les féminicides – qui ont toujours existé – prennent, ces dernières années, de plus en plus d’importance dans notre conscient collectif et l’ampleur du phénomène est considérable.
Dans certains cas, on s’inflige à soi-même des violences physiques : mutilations, griffures, coupures, brûlures, anorexie, privations… C’est souvent le signe d’un autre type de mal-être : la souffrance morale. Si elle ne se voit pas de l’extérieur, elle est bel et bien présente dans notre esprit et nous taraude. En effet, elle prend sa source dans une situation familiale ou sociétale qui semble impossible à surmonter. La victime, impuissante, intériorise sa colère, sa révolte, et se « venge » contre son propre corps ou son propre esprit. Menaces, injures, coercitions, perversions, propos dégradants… là encore, le « génie » humain est particulièrement inventif.
La souffrance comme « apprentissage »
La douleur physique et la détresse sont certainement les premières expériences du bébé, avant qu’il ou elle ne puisse connaître la chaleur et la tendresse maternelles, puis le bien-être de son foyer. D’ailleurs, comme chez tous les mammifères, les nouveau-nés sont particulièrement faibles et vulnérables à leur naissance. Il leur serait impossible de survivre sans la première manifestation de la compassion dans le règne animal : l’amour maternel. Chercher nourriture et refuge font partie des premiers réflexes, les « réflexes primaires » ou « primitifs », et qui trouvent leur satisfaction dans l’instinct symétrique qui existe chez les parents : la compassion.
Cette souffrance primordiale est fondatrice des ressentis du petit être qui va grandir. Ce n’est que parce qu’il ou elle a « mal » qu’il va comprendre l’état de bien-être. La dualité entre souffrance et non-souffrance est claire et nette. Tout être vivant cherche à faire durer le plus possible sa non-souffrance. Cet instinct définit certainement le « plus grand commun dénominateur » entre toutes les espèces sentientes sur notre planète.
Lorsque l’enfant grandit, s’ensuivent les différents « bobos » qui affectent son existence et qui ponctuent ses explorations du monde qui l’entoure. C’est en grande partie parce qu’il va se brûler qu’il comprendra le danger du « trop chaud », parce qu’il va tomber qu’il apprendra comment garder ou retrouver sa stabilité, etc.
On voit donc que la souffrance enseigne les sensations duales. Il est même dangereux de ne ressentir aucune douleur, aucune gêne : l’insensibilité à la douleur n’est pas un bienfait ! C’est une vraie pathologie mettant en danger notre vie.
La compassion, comment la définir, alors ?
Comme nous l’avons vu, la souffrance est un fait, une constante de notre monde, un signal d’alarme physiologique utile et parfois vital. Nous en avons besoin pour comprendre notre corps et nos sensations. Mais lorsqu’elle va au-delà du supportable, il nous faut agir.
Instinctivement, sans réfléchir, lorsque nous sommes placés en face d’une personne qui souffre, nous ressentons sa douleur, nous la lisons sur les traits de son visage. Et en principe, sans réfléchir, nous souhaitons lui apporter appui, l’aider à sortir du danger ou soulager sa souffrance.
À la différence de l’empathie, qui est la « faculté [émotionnelle] intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent », la compassion ajoute une dimension altruiste.
2. Les bienfaits de la compassion
Face à la souffrance, la compassion est une réponse essentielle. Voyons ses bénéfices sous plusieurs angles d’analyse.
L’approche évolutionniste
La survie du « plus fort » serait en fait celle du « plus empathique ». Darwin lui-même, dans « The Descent of Man et Selection in Relation to Sex », affirme que « la force de l’instinct social ou maternel est plus grande que celle de tout autre instinct ou motif ». En outre, ses observations sur des groupes d’animaux montraient que ceux comprenant le plus grand nombre de membres empathiques prospéraient le mieux.
Dacher Kelner, de l’université de Californie à Berkeley, souligne qu’il existe un « instinct de compassion » chez les animaux et les êtres humains. Selon lui, la compassion constitue un comportement naturel et automatique qui permet la survie. Certaines études menées sur des rats, des chimpanzés ou des nourrissons très jeunes tendent à prouver que l’empathie et la volonté d’aider existent spontanément à la vue de la souffrance d’un congénère. En la matière, le soulagement de la souffrance de l’autre apporte la « récompense » du comportement compassionnel.
L’apport de la psychologie
Les investigations conduites par Ed Diener et Martin Seligman, tous deux boursiers chercheurs en psychologie positive et du bonheur, suggèrent que le fait d’établir des liens importants avec les autres nous permet de profiter d’une meilleure santé mentale et physique. Cette compassion accélère également le rétablissement lors d’une période de convalescence.
Il est désormais possible, grâce aux techniques d’imagerie numérique cérébrale, d’observer des phénomènes au niveau des centres du plaisir. Ainsi, une étude menée par le neuroscientifique Jordan Grafman du « National Institute of Health » aux États-Unis a mis en évidence que nos émotions positives sont les mêmes lorsque nous voyons quelqu’un donner de l’argent à une œuvre de charité que si nous le recevions nous-mêmes.
On observe que l’acte de donner est plus agréable, au niveau du ressenti, que celui de recevoir. La compassion peut donc être bénéfique à la fois extérieurement, puisqu’elle permet de soulager la souffrance de l’autre, et intérieurement. D’autres études prouvent qu’un mode de vie compatissant améliore l’espérance de vie par la réduction du stress, le sentiment d’appartenir à une communauté, l’identification à l’autre .
L’approche bouddhiste
Le bouddhisme se définit plus comme une sagesse, une philosophie, qu’une religion à proprement parler. On y cultive depuis plus de deux millénaires une tradition introspective particulièrement intense, dont la rigueur peut être qualifiée de scientifique. En effet, l’observation des pensées par la méditation – notamment la compassion – se fait depuis des millénaires, et ceci dans toutes les traditions du bouddhisme.
3. La formalisation scientifique de la compassion
La contribution du bouddhisme est significative dans l’essor de l’intérêt des scientifiques pour la compassion et sa formalisation.
L’institut « Mind and Life »
Créé en 1990 à Boulder, Colorado, par le neurobiologiste chilien Francisco Varela, et sous l’impulsion du Dalaï-Lama, l’institut « Mind and Life » (« Esprit et Vie », en français) a pour vocation de favoriser le rapprochement entre le bouddhisme et la science. Parmi les valeurs défendues par l’institution, la première est la compassion.
L’Institut est devenu le creuset de plusieurs avancées scientifiques majeures concernant la neuroplasticité du cerveau au cours de la vie et de son entraînement à plusieurs émotions. Matthieu Ricard, célèbre moine et scientifique, s’est ainsi prêté à de nombreuses études à l’université de Madison, dans le Wisconsin, où il s’est avéré qu’il était « l’homme le plus heureux du monde », notamment lorsqu’il se plaçait en état méditatif sur… la compassion.
Google et la compassion
S’il existe une compagnie connue pour son approche scientifique et systématique, c’est bien le leader américain des moteurs de recherche. L’un de ses plus hauts responsables, Chade-Meng Tan, a mis au point un programme de développement des ressources humaines appelé « Search Inside Yourself ». Cette formation était dispensée à tous les employés volontaires de l’entreprise et son curriculum était fondé essentiellement sur la méditation en pleine conscience et la compassion.
Son livre éponyme connaît beaucoup de succès. À noter que le but affiché de Tan est – ni plus ni moins – de « sauver le monde [par la compassion] ».
CCARE : un projet universitaire sur la compassion
Le Centre pour la Recherche sur la Compassion, l’Altruisme et l’Éducation, de l’Université de Stanford, a mis au point, en collaboration avec le Dalaï-Lama et plusieurs psychologues de renom, un programme laïc de formation à la compassion, le « Compassion Cultivation Training Program ».
Ce prestigieux établissement d’enseignement supérieur en médecine offre toutes les garanties de sérieux : la compassion est donc d’intérêt scientifique et humain supérieur.
On peut s’attendre à ce que de plus en plus d’études soient menées et aboutissent à des mesures concrètes dans notre vie quotidienne.
D’ici là, certains principes bouddhistes tels que dans les pratiques Tonglen peuvent nous inspirer et nous enrichir humainement parlant. Le Tonglen pousse la compassion jusqu’à poser l’intention de faire venir à nous toutes les souffrances du monde qui se transforment automatiquement à notre contact en compassion et amour inconditionnel que nous renvoyons au monde afin de réparer ses blessures.
En Self Emotional Balancing, cette même approche Tonglen s’inscrit dans l’idée que c’est à l’adulte que nous sommes aujourd’hui de nous offrir l’amour inconditionnel que nos parents auraient pu ou dû nous faire expérimenter pendant notre enfance, partant du principe qu’un adulte, avec un attachement sécure, est capable de poser un cadre et des limites claires, qu’il peut également reconnaître ses besoins et les exprimer et, enfin, qu’il peut se donner à lui-même toute la bienveillance et toute la bientraitance dont son système intérieur a besoin. Le SEB nous invite à (re)découvrir cet espace intérieur et à aider nos parties blessées à se réparer, notamment en lien avec l’adulte que nous sommes devenus… parfois encore à la méconnaissance de notre système qui, lui, est resté calé dans le passé à l’époque où nos blessures sont apparues. Revenir au moment présent, dans la bienveillance et la bientraitance, dans l’expression de notre souhait et intention de mieux nous comprendre et de mieux comprendre les moteurs de l’autre font partie des piliers qui mènent vers la compassion…
Conclusion
La compassion est l’une des capacités de base de l’être humain, tout comme notre expérience sporadique ou chronique de la douleur. Ainsi sommes-nous toutes et tous « livrés » avec l’aptitude d’observer, de comprendre la souffrance de l’autre, et surtout de vouloir sincèrement apporter un soutien pour la soulager du mieux que nous le pouvons, que ce soit par la présence, par la reconnexion à une connexion plus grande, ou par des actes concrets.
Ce n’est que plus tard dans la vie que certains d’entre nous peuvent, malheureusement, perdre cette faculté altruiste, pour diverses raisons. La plus fréquente est le manque de pratique de la compassion. Comme un muscle dont on néglige l’exercice régulier, celle-ci peut tout simplement s’atrophier et de ce fait, nous ne pouvons plus bénéficier de ses nombreux avantages pour notre propre santé.
La méditation est l’un des vecteurs privilégiés de l’apprentissage de la compassion, tout comme la Thérapie Relationnelle Centrée sur le Cœur (TRCC©) ou le Self Emotional Balancing (SEB©).
La compassion est fondamentale pour la survie de notre espèce. Sans compassion, nous ne pourrions tout simplement pas survivre à notre venue au monde ! Plus concrètement, elle nous est utile pour pouvoir aider efficacement celles et ceux de notre entourage que nous aimons et pour qui nous voulons sincèrement du bien.
Depuis plus d’une trentaine d’années, l’étude scientifique de la compassion a pris un envol sans précédent. Ses bienfaits sont désormais clairement établis et son enseignement est prioritaire. Avant qu’elle ne soit correctement enseignée aux enfants (nous vous en parlerons dans un prochain article) et de façon massive, il nous revient, en tant qu’adultes, de prendre conscience des trésors que la pratique quotidienne de la compassion engendre sur nous-mêmes en tant qu’individu, sur notre entourage, en thérapie et par voie de conséquence, sur le monde.
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