Personnalités inspirantes : Hiro Chiba, artiste photographe japonaise

30 octobre 2020
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Auteur: Blog iepra

Interview par Ulrike Weissenbacher

Nous sommes des êtres humains entiers, autant intéressés par des sujets directement liés à notre profession, qu’à la recherche de nouvelles découvertes, techniques, connaissances sur la nature de la psyché humaine. Nous partageons des choses qui nous élèvent, qui nous passionnent, qui nous touchent afin qu’elles vous exaltent à votre tour.

Les réseaux sociaux m’ont permis de découvrir la beauté des photos fugaces qu’Hiro Chiba imprime sur la surface délicate de feuilles mortes. J’ai été fascinée par leur nature transcendant le temps.

Vous pouvez alors imaginer ma surprise et ma joie quand, en partageant mon enthousiasme avec mon ami Jean Nicolas, j’ai découvert qu’il était en contact avec cette artiste sur Facebook, qu’il suggérait de lui demander une interview et l’inviter à présenter son travail à Bruxelles.

À travers mes questions, j’ai voulu davantage découvrir ce qui a amené Hiro à créer ses œuvres sur une matière périssable, le lien avec la mort et le changement, et ce qu’elle souhaitait exprimer.

Hiro Chiba est une jeune artiste japonaise, photographe, plasticienne, diplômée de l’Université d’Art de Tokyo Zokei et titulaire d’un Master en art brut. Elle se distingue par l’utilisation assez exceptionnelle de la photographie chloroplastique.


Autoportrait

« Une photographie est la production instantanée d’un espace et d’un temps imaginaires que l’œil du photographe, puis celui du spectateur, nourriront de mille signes. Autant de significations, de couleurs, d’intentions et d’émotions qui donneront à la photo sa vraie dimension artistique. Autrement dit, la capacité de nous raconter l’histoire de notre monde. Peu importe quelles règles et normes semblent codifier la photographie d’art. L’art ne remet pas en question l’académie du savant, mais la liberté de notre esprit et de notre cœur. »

Ulrike Weissenbacher : Comment la jeune Hiro Chiba a-t-elle découvert qu’elle s’intéressait à l’art et qu’elle avait un talent pour l’art ?


Hiro Chiba : J’ai une approche personnelle du talent artistique. Je me considère comme une artiste qui part du concept de l’artiste « outsider conscient ».

Depuis l’école maternelle, je savais que j’étais très habile de mes mains et je parvenais à me concentrer sur des bricolages plus longtemps que les autres. Par conséquent, j’imaginais qu’un jour, j’évoluerais vers un métier qui me permettrait de créer.

Je m’intéressais à ma nature humaine et c’est ce qui m’a amenée là où je suis aujourd’hui.

Je m’intéresse autant aux choses qui ne me plaisent pas qu’à celles qui me plaisent. À ce titre, les gens se méprennent souvent sur mes intentions. J’essaie de développer une compréhension de soi qui atteint son bonheur dans les défis. Par exemple, je savais que j’étais dans mon élément avec la sculpture de bois ; j’ai donc essayé de travailler une autre discipline, avec laquelle je n’étais pas à l’aise.

J’ai choisi des feuilles d’arbre comme support d’impression pour mes photos. C’est la différence que j’entretiens par rapport aux autres photographes.

Au fur et à mesure que je me spécialisais dans la photographie, j’ai voulu la laisser de côté. Après mes études supérieures, j’ai décidé de consacrer deux années de ma vie dans un domaine qui ne m’intéressait pas. C’est ce qui m’a amenée à l’État Indépendant du Samoa de 2014 à 2016, en tant que bénévole. Auparavant, je n’avais jamais eu l’idée d’aider des inconnus.

À la fin de mon séjour, j’ai imprimé des photographies au chloroplaste en utilisant des plantes samoanes dans le but de participer à une exposition A.I.R. (Artist in Residence). Cela m’a fait progresser dans ce domaine artistique.

Il serait exagéré de dire que le résultat de mes photographies m’a poussée à mettre la sculpture de côté. Je ne sais d’ailleurs pas si je suis douée pour la sculpture ! Mais mon intérêt pour la découverte de soi m’a donné l’occasion de mener des recherches sur la technique de la photographie au chloroplaste. Cela m’a également permis d’être interviewée par vous !

UW : Qui a eu le plus d’influence – positive ou négative – sur vous et vos choix ?

HC : Je pense que c’est ma grand-mère maternelle et une amie du lycée qui m’ont poussée vers le domaine artistique. Il est très difficile de dire laquelle m’a le plus influencée.

UW : Malgré certaines périodes de découragement, comment avez-vous réussi à développer votre talent et à construire votre confiance en vous ?

HC : Étant donné que la photographie au chloroplaste ne marchait pas très souvent, il était essentiel de m’habituer à l’échec. Il m’arrive souvent d’avoir un résultat différent de ma prévision, ma supposition et la réalité. Mais comme je ne suis pas intuitive, je suis capable d’accepter ce qui n’est pas prévu. Je suis peut-être douée pour apprendre de mes erreurs et progresser.

Malgré une forte estime de moi, cela ne signifie pas que je me sente supérieure aux autres. Je pense que si vous aviez eu la même naissance que moi, si vous aviez été élevée comme moi et si vous aviez rencontré les mêmes personnes, vous seriez comme moi.

Comme je crois en cette idée, je ne suis pas autant déprimée lorsque je fais des erreurs, parce que je pense que l’on n’y peut rien. Je réfléchis à la façon de modifier ma méthode de travail pour que, la fois suivante, j’obtienne un meilleur résultat.

UW : Avez-vous eu une vision de l’endroit où vous vouliez aller ou fait les choses uniquement dans le but de vous « trouver » ? Vous parliez de la maladie de votre amie, seriez-vous prête à nous en dire plus sur l’impact que cela a eu sur vous ?

HC : J’ai une vision de ma vie qui n’est pas en rapport avec l’art. Je n’en ai jamais parlé avec ma famille ni mes amis. Mais, j’en ai parlé avec un inconnu. Essentiellement, je m’impose cette vision. La chose avec laquelle je ne me sens pas à l’aise devient toujours ma vision. Lorsque je sens que je l’ai atteinte, elle est remplacée.

Imaginons que l’objectif soit de ne pas mentir. Même si je ne le respecte pas, il n’y a pas de pénalité en particulier. Mais, cela m’arrive très rarement, grâce à ma personnalité. Le résultat de m’obliger à ne pas mentir me permet de dire que je n’avais pas d’autre choix que de m’exprimer.

À propos de la maladie de mon amie, je peux dire qu’elle était aussi intelligente que belle et tout le monde l’aimait. Le docteur m’a dit qu’elle avait fait une crise aiguë inattendue parce qu’elle n’arrivait pas à se débarrasser du stress.

L’un de ses propos m’avait impressionnée : elle me demandait pourquoi nous pouvions tuer des cochons et des vaches, mais pas d’humains. Au Japon, je pense qu’il est rare qu’un lycéen réfléchisse à l’éthique de la chaîne alimentaire et de l’anthropocentrisme, étant donné qu’il y n’a pas d’enseignement religieux.

Elle m’a aussi posé des questions essentielles et m’a demandé des conseils sur le fait qu’elle voulait mourir. À cette époque-là, je me sentais extrêmement impolie de lui répondre en citant des faits communs et superficiels. C’est à cause d’elle que je me suis mise à penser à la mort. Cela m’a incitée à repenser à beaucoup d’autres choses.

UW : Pouvez-vous nous expliquer quels types d’encouragements, de soutien, mais aussi de découragements, ont été particulièrement utiles pour construire l’artiste affirmée que vous êtes devenue ?

HC : Quand j’ai gagné lors de ma première exposition artistique, une carte m’a été envoyée par une spectatrice. Elle était tellement émue qu’elle m’a écrit de très jolis mots. Elle n’arrivait pas à bouger parce qu’elle était très touchée par mon œuvre.

C’était la première fois que quelqu’un me donnait son impression sur mes réalisations. Étant donné que ma technique de photographie est inhabituelle, il m’arrive souvent de me poser des questions sur cette méthode.

J’avais participé à cette exposition pour le plaisir, et j’étais très émue lorsque j’ai lu cette carte.

À propos de l’aspect difficile, ce qui m’empêchait de pratiquer librement mon activité artistique, c’était le manque de connaissance financière et commerciale.

Ce qui m’a également pris beaucoup de temps, c’était de compenser mon manque de connaissances dans les domaines suivants : l’exposition des œuvres, les plantes, la conservation des plantes et la résine.


Exhibition en France

UW : Vous nous avez dit : « Compte tenu de ma situation familiale, je ne pouvais absolument pas me permettre d’échouer ». Cela ressemble à une certaine pression que vous avez ressentie ! Qu’est-ce qui vous a aidée à protéger votre créativité sous le stress ?

HC : Mes parents n’étaient pas d’accord pour que j’entame des études artistiques. Ce n’était pas à cause d’un éventuel problème financier ou familial. Au Japon, il existe encore le stéréotype invétéré qui dit que la vie sera stable si on fait le choix de devenir un employé ou un fonctionnaire.

Mes parents ne voulaient pas que je renonce à une vie stable, c’est-à-dire tenter de réussir l’examen d’entrée et si j’échouais, me payer les frais de l’université d’art. Je comprends leur sentiment puisqu’il y avait une anxiété générale sociale.

Lorsque j’étais au lycée, j’étais un peu passionnée par le concept de l’anti-natalisme, à l’image de ce proverbe grec qui dit que « le deuxième malheur dans la vie est de mourir et le premier est de naître ». J’avais créé ma propre vision de la vie et de la mort. Je n’arrivais plus à accepter ce que l’on me demandait, en plus du simple fait de vivre.

Au moment de me préparer pour les examens d’entrée, j’ai réalisé que je ne pouvais en aucun cas rater. J’ai donc décidé d’aller à l’université d’art où l’examen d’entrée se faisait à l’écrit.

Bien sûr, pour beaucoup d’artistes, il est toujours question de survie financière. Tant qu’ils ne vendent pas leur art, la plupart doivent avoir recours aux emplois secondaires, subventions, bourses… et tout le monde ne réussit pas.

UW : Pouvez-vous nous parler des moments déterminants, des limites et des obstacles auxquels vous étiez confrontés ?

HC : Comme je vous l’ai dit précédemment, ce qui m’empêchait de vivre mon activité artistique librement était le manque de connaissances financières et commerciales. Beaucoup d’artistes ont signé un contrat inégal à cause de ce manque.

Pour vous donner un exemple, lors d’une exposition individuelle, le propriétaire d’une galerie m’avait proposé un contrat qui allait m’escroquer. Finalement, je n’ai pas accepté ce contrat.

On a tendance à éviter le sujet de l’argent au Japon, plus qu’à l’étranger. On ne parle pas souvent de revenus annuels personnels, d’investissements, d’optimisation fiscale, parce que cela donne l’impression d’un manque de dignité lorsqu’on en parle.

À l’époque, j’avais tendance à suivre cette façon de faire et donc, je n’ai pas osé poser ces questions à mes supérieurs ou mes prédécesseurs écrivains. J’ai eu du mal à changer mon opinion.

UW : Quel est votre processus intérieur ? Avez-vous « juste » mis la pression de côté ? Avez-vous besoin de stress pour être productive ? Avez-vous des routines pour vous aider à calmer votre stress, pour vous aider à vous concentrer sur votre art ?

HC : Je ne me sens pas souvent sous pression. Lorsque je la ressens, j’essaie d’en profiter. Je ne planifie pas mon horaire trop serré, pour éviter d’être préoccupée.

Je fais une méditation de vingt minutes quand je me lève le matin, si j’ai du temps. Pendant ma méditation, je pense au jardin de Monet à Giverny que j’ai visité l’année passée. J’ai réalisé que c’était efficace pour me concentrer, grâce au paysage de verdure entourant l’eau.

Une autre de mes routines est de marcher avec la belle vue du quartier où je vis. Lorsqu’il fait beau et que le ciel est magnifique, j’y fais une méditation. En plus, je joue du piano deux heures par jour, je pratique de nouveaux morceaux ainsi que ceux que je connais déjà. Cela sert à mieux me concentrer et détendre mon cerveau.

UW : Très souvent, les jeunes artistes vont à l’encontre de toutes les règles et normes établies afin de trouver leur propre essence, leur expression personnelle. Ils doivent apprendre à faire face à la critique, au rejet, à tenir bon. La rébellion est-elle une option acceptée par la société ?

HC : Je constate qu’il arrive souvent d’être confronté à un refus lorsqu’on demande la permission. En quelque sorte, quelqu’un qui donne sa permission sera responsable. Mais, de mon expérience, lorsqu’on fait quelque chose avec discrétion, sans demander la permission, les gens se concentrent uniquement sur les œuvres sans se poser de questions concernant l’autorisation.

UW : Permettez-moi de parler de la place des femmes dans le monde de l’art et au Japon en particulier. Quelles sont la place et la liberté que la société japonaise attribue à une artiste féminine, dans le domaine de l’art ?

HC : Jusqu’à maintenant, je n’ai jamais ressenti de discrimination dans le domaine artistique par rapport au fait que je sois une femme. Mais il y existe sans aucun doute une forme de supériorité masculine. J’ai lu un article qui expliquait que bien qu’il y ait une proportion des femmes élevée pour les postes de conservateurs de musée et au sein des étudiants à l’université d’art, celle des hommes est de plus de 80 % aux postes de directeurs des musées principaux et de professeurs de l’université d’art. En outre, la proportion des hommes et des femmes est injuste pour les artistes invités aux triennales et biennales.

Je n’ai pas non plus perçu de différence entre les femmes et les hommes à mon université. Mais j’ai déjà rencontré des hommes qui pensent que les femmes sont plus heureuses dans le rôle de femme au foyer. C’est une opinion que la plupart des gens reconnaissent comme démodée, mais il n’est pas rare que les hommes japonais d’âge mûr soient de cette opinion.

UW : Qu’est-ce qui, dans votre histoire personnelle, vous a aidée ou vous a fait définir votre place et votre forme d’expression pour vous-même, prendre votre place indépendamment des définitions culturelles ?

HC : Je me suis orientée vers ma nature. Même lorsqu’il s’agissait de ce qui ne me plaisait pas, j’y ai passé de nombreuses heures pour m’y confronter.

Il est difficile de dire que ma position est déjà établie, car je suis classée dans la catégorie « jeune artiste ». Mais en me concentrant sur le fait de m’orienter comme je le veux, même si je n’y arrive pas facilement, je peux continuer à expérimenter sans être saturée, même si le résultat n’est pas là. Pour moi, il était indispensable que ma famille me comprenne.

UW : Quelle a été votre expérience de ce cadre culturel ?

HC : Cela m’intéresse de pouvoir réaliser des recherches moi-même à partir de ma méthode. Il est amusant, mais également difficile de travailler plus en profondeur, ainsi que transversalement. Quand j’étais étudiante, il était nécessaire d’avoir diverses connaissances. J’ai étudié la photographie, la botanique et la préservation pour la création, la chimie pour la résine d’encapsulation, et la menuiserie pour le cadre et la structure d’ateliers.

UW : Comment votre art est-il perçu par la critique, les experts en art au Japon ? Est-ce un domaine dominé par les hommes ?

HC : Lorsque j’ai reçu un prix à l’occasion d’une exposition publique, les experts en art m’ont appréciée. Ils disaient que le titre, l’ambiance de l’œuvre et la photo étaient bien harmonisés. Ils ont admiré ma méthode innovante.

Je ne peux pas parler de la situation actuelle dans le domaine de l’art japonais, car je n’y suis pas impliquée profondément. Mais je peux dire que la proportion des juges d’expositions publiques est à dominance masculine.

UW : Comment votre famille va-t-elle valoriser votre œuvre d’art et votre place ?

HC : Ma famille est clémente, mais pas trop intéressée par l’art. Ils n’ont pas l’habitude d’acheter des œuvres d’art. Comme ils ne sont pas intéressés non plus par l’argent que l’on reçoit pour un prix, ils ont eu la même réaction lorsque je leur ai parlé du prix d’or que j’ai reçu à l’exposition publique.

UW : Quand j’ai découvert votre art sur les médias sociaux, j’ai été extrêmement touchée par la délicatesse du temps capturé sur l’éphémère, par la nature transitoire de nos vies inscrites dans le cycle récurrent de la croissance et la décoloration.

J’aimerais beaucoup en savoir plus sur cette idée de « ne plus chercher le bonheur », et je peux voir dans votre travail que vous avez passé du temps avec la vie et la mort, le bien et le mal, le bonheur et le malheur.

Dans mon histoire personnelle, c’est très souvent la confrontation de la perte, de la maladie ou d’un traumatisme à un âge précoce qui amène les gens vers moi, pour contempler ces questions et trouver une façon plus profonde de comprendre, de relier et de vivre.

Quels événements de votre vie vous ont amenée à de telles réflexions, assez tôt ?

HC : Au tout début de ce travail, je me suis demandé si je pouvais me souvenir de la campagne de ma ville natale. Lorsque j’étais à l’école primaire, ma famille et moi sommes passés dans une rue de campagne en chemin pour aller au grand magasin.

C’est à ce moment-là que j’y ai pensé. Je me sentais accablée à l’idée d’enterrer dans ma mémoire ce moment précis, sans être sûre de m’en souvenir dans le futur, si je ne faisais rien. Alors, j’ai essayé de le garder en mémoire.

J’ai regardé par la vitre de la voiture la vaste campagne verdoyante, les légers nuages éclairés par le soleil par endroits, la lumière, l’odeur de la voiture, l’ambiance, la noirceur de la forêt à l’arrière.

J’ai réussi à me souvenir de ce moment dans la mesure de ces mots. Cependant, à travers ces mots, je ressens que le paysage original de ma mémoire est usé. Chaque fois, je me demande si je me souviens avec justesse de la scène.

UW : S’il y a un traumatisme, une perte, une maladie, une dépression… autour de vous, quels moyens avez-vous développés pour y faire face ?

HC : Je suppose que cela concerne mon amie.

Dans le cas où mes amis font face à une perte, si c’est possible, je les fais réfléchir sur la manière de récupérer ce qui a été perdu. En cas de maladie, je leur cherche de bons médecins et je leur raconte une blague sans importance. En cas de dépression, je les écoute, souvent sous forme de questions. À moins qu’ils aient commis une erreur catastrophique, je ne leur donnerai aucun conseil, mais j’essaierai d’être aussi franche que possible.

Dans mon cas, je voudrais qu’on me laisse seule pendant un jour pour réfléchir. Voir si je peux surmonter quand il s’agit d’une perte pour moi. Si je tombais malade, cela me ferait plaisir que l’on m’offre quelque chose de facile à digérer. Même si cela m’arrive rarement d’être déprimée, j’essaie de l’oublier, puisque c’est souvent irréversible. Quoi qu’il en soit, je n’en fais pas trop.

UW : Vous dites maintenant que vous ne cherchez plus le bonheur, que vous pouvez toujours vous sentir calme et heureuse. Comment êtes-vous parvenue à cet état de satisfaction, de ne pas vouloir plus de bonheur ?

HC : Il y a au moins trois possibilités pour l’expliquer. C’est une question un peu difficile, car la façon de le comprendre changera en fonction du point de vue, selon les opinions de ma grand-mère, de mes amis et de moi.

Ici, je vais vous parler de la mienne.

Ce qui me plaît, c’est un élément qui me contrôle. Cela fonctionne de la même manière pour les choses que je n’aime pas. Par exemple, j’aime essayer de communiquer avec les chats. Par contre, je n’arrive pas à toucher les insectes.

Je me sens heureuse lorsque j’approche de ce qui me plaît et j’ai l’impression que cette situation est correcte.

Mais, dans la plupart des cas, je n’ose pas décider de ce qui me plaît. C’est en raison de mon goût, en rapport avec des parties structurelles, plutôt que de moi. J’ai l’habitude de penser et d’exprimer physiquement ce qui me procure ce désir en étant séparée de moi-même.

Supposons que cette partie physique soit « elle ». Je la représente comme cela pour donner une explication, je n’ai pas de double personnalité. Si je comprends son goût et si je ne la néglige pas, elle agit toujours selon ma volonté, autant que possible, et elle souhaite plus que quiconque que je passe du temps agréable, sans anxiété. C’est une vraie existence pour moi qui me permet de me comprendre plus que quiconque.

Je l’ai intitulée « Étranger idéal » et j’ai réalisé l’œuvre imprimée de ma propre silhouette.

Étranger idéal #2

Bien que je ne m’en sépare pas complètement, je suppose que je m’identifie de temps en temps à elle et je me demande si cette situation pourrait être inversée. Néanmoins, mes émotions en termes de goût lui appartiennent essentiellement.

Ce n’est pas ma volonté qui décide le fait que je n’aime pas les insectes. C’est la même chose concernant le goût des saveurs et les sentiments nostalgiques poursuivis dans l’œuvre.

Ce qui est important, c’est que son goût n’a rien à voir avec ma volonté.

Pour moi, du fast-food très salé est meilleur que de la nourriture saine !

La situation heureuse n’est pas toujours favorable pour moi, étant donné que le bonheur est temporaire, et qu’elle souhaite le plus de bonheur possible. Le fait que je la rende heureuse est une raison de vivre pour elle. Cela ne me pose pas de problème, même si j’ai choisi une manière un peu plus compliquée, elle me la fait également respecter.

Étant donné qu’elle ne réagit pas comme je le veux lorsque je la force, il est important que je réponde à ses demandes. Je pense qu’il serait mieux de réagir comme si c’était ma meilleure amie.

D’un côté, je ne peux pas tout expliquer sur le bonheur, mais j’arrive à me sentir doucement heureuse grâce aux conciliations par rapport à ses demandes et les miennes.

UW : Vous avez appris à ne plus agir à partir de votre volonté, « ne plus vouloir ». Si vous pouviez enseigner aux gens ce processus, que recommanderiez-vous ?

HC : Je crois qu’il vaudrait mieux dire « ne pas viser » plutôt que « ne pas vouloir ».

Tant que je vis, je ne veux pas fuir ce que j’améliore personnellement. Le résultat de la répétition est que j’ai fait des choix comme je le voulais, ce qui me permet de m’améliorer et de profiter du bonheur.

Je ne veux pas recommander ma façon de penser.

Même si ce moyen de penser m’est tout à fait clair et me permet d’aller bien, je ne me sens pas particulièrement à l’aise dans la vie. Pour travailler sur ce qui ne m’intéresse pas, j’ai parfois besoin d’énormément énergie.

Je ne pense pas que je puisse dire que j’applique la meilleure façon de vivre. Ce n’est pas si révolutionnaire, c’est pour ça que je ne le propose pas aux autres. Mais j’en parle parfois, lorsqu’on me le demande.

UW : Sur une note plus personnelle, j’ai été particulièrement impressionnée par votre idée que « dans une photo, je peux être tentée de mémoriser afin de me souvenir de la photo elle-même… Lorsque j’imprime une photo sur une feuille d’arbre, je suis obligée d’imaginer et de compléter certaines parties, telles que la couleur et les détails. »

Ici, votre travail se joint à mon domaine, car nous avons toujours à faire face au fait que nos souvenirs sont seulement aussi fiables que l’histoire que nous nous sommes racontée. Et en tant que psychothérapeute, je travaille avec la tendance du cerveau à compléter tout contenu que nous recevons à travers nos sens. J’aide les gens à renouer avec l’événement grâce au contexte dans lequel la mémoire a été stockée, afin qu’ils puissent déconstruire – au calme et en sécurité – puis reconstruire de nouveaux comportements, à l’abri du traumatisme du passé.

Merci beaucoup pour cette discussion et pour votre patience, j’ai hâte de poursuivre les échanges avec vous à l’avenir !

HC : Votre travail sur la mémoire, la déconstruction et la relation avec l’événement m’intéresse. Théoriquement, je suppose qu’il y a la façon de comprendre la mémoire par rapport aux souvenirs que j’ai. Je serais contente que vous me présentiez les références de documents qui l’expliquent de façon systématique !

Je vous remercie pour cette interview. Je pense que j’ai réussi à me décrire le plus réalistement possible. Il est très difficile pour moi de représenter à l’écrit ma propre façon de penser, et ce, de manière compréhensible pour les autres. Mais en même temps, j’ai passé agréable moment.

千葉尋 Hiro CHIBA

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3 Commentaires

  1. Olivier Dierickx - FrencHoly

    Merci pour ce partage, c’est très inspirant, surtout en cette période automnale – j’ai récemment participé à une session parlant de la mort et du deuil, et je trouve que la mort fait partie de la vie, la transformation est constante. Un monde qui ne se transforme pas est un monde inerte.

    J’ai également eu cette chance, dans les années ’90, de développer des films en chambre noire et j’ai encore dans mon esprit ces odeurs chimiques un peu nauséabondes, comme des œufs pourris, via le fixateur, le révélateur puis le séchage.

    J’éprouve donc beaucoup de respect envers ces personnes qui créent, pas seulement des œuvres d’art, fussent-elles éphémères ou non, mais surtout partagent un moment de leur vie et de leurs énergies créatrices pour nous inviter à la réflexion, une pause bienvenue qui cette année revêt une saveur particulière, avec cette pause mondiale ‘forcée’.

    Rien n’est éternel – même pas Sean Connery ou Chuck Norris – et un jour nous devrons tous quitter notre corps, notre véhicule physique terrestre. Et donc le temps – si court – que nous passons ici, est un don, un cadeau. La transformation est donc éternelle, et je suis donc reconnaissant de ces quelques années que je peux vivre ici, ces expériences incroyables, qui ne sont en fait qu’un clignement d’oeil dans l’espace temporel de l’univers, et un point spatial infime dans ce même univers.

    Arigato gosaimas, Hiro!

  2. Mieczysława Wójcik

    Merci pour le partage, la douceur, la beauté, l’ouverture de cœur!
    Le premier mot qui me vient est Résilience, ou l’art de se relever et poursuivre le Chemin, transformer ce qui peut être d’abord vécu comme adversité en Opportunité. Choisir de danser la Vie, avec ce qu’elle nous offre, aussi éphémère cela puisse être.
    Ensuite, l’éternelle impermanence du Monde; l’Énergie qui fluctue, la Mort comme partie intégrante de la Vie: à point nommé dans la saison et les circonstances qui nous rappellent l’inéluctable fin de notre existence sur Terre, de cette existence, en tout cas.
    Et comment se manifeste la résilience dans ma réalité ? Comment je choisis de danser cette Vie: dans l’allégresse, la joie, le partage, la créativité, la curiosité, le lien?
    Beaucoup de douceur à tou.te.s ! ☀️🌈☀️

  3. Yves A Wauthier

    L’art est une fenêtre sur l’âme du Monde. Qu’elle soit intérieure ou centrée sur l’extérieur cette voix clame haut et fort notre humanité, nos racines ébauchées ou simplement notre amour. Parfois, nous serons plus en résonance et en pleine harmonie. En d’autres temps, nous nous relèverons et progresserons entre toutes ces parts de nous que nous nous ré-approprions en pleine conscience… Merci de tous vos merveilleux commentaires!

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