Y a-t-il un lien scientifiquement mesurable entre la lecture de fiction et la réduction de l’anxiété, de la dépression, de la solitude et du stress ?
L’être humain est fasciné par les histoires depuis la nuit des temps. Que ce soit au coin du feu lors de veillées, le soir pour endormir ses enfants ou tout simplement à la lecture d’un bon roman, les histoires ont toujours autant d’effets sur nos semblables.
À vrai dire, ce goût pour la fiction remonte à la nuit des temps. Le paléolithique, période la plus longue de notre histoire humaine, fut le décor de cette coutume ancestrale : la transmission des connaissances et des histoires par la parole. La tradition orale est ainsi solidement implémentée dans notre ADN. C’est durant des millénaires que se sont forgés les mythes et légendes qui façonnent aujourd’hui de nombreuses cultures. Nous avons viscéralement besoin d’histoires pour comprendre le monde qui nous entoure, et les enfants auxquels nous racontons des contes de fées en redemandent. Même adulte, notre âme d’enfant a toujours besoin de cette nourriture spirituelle qui alimente notre imaginaire et la psyché collective…
La « théorie de l’esprit » ou comment la lecture augmente notre degré d’empathie
Quels bienfaits les textes de fiction peuvent-ils nous apporter ? Y a-t-il des bénéfices qui dépassent le simple plaisir de lire une histoire ? La réponse scientifique est un oui retentissant !
Au-delà du besoin psychologique qui définit notre humanité et nous aide à forger notre personnalité, nos rêves et nos fantasmes, la fiction peut être considérée sous un autre angle : celui des bénéfices pour notre santé.
La lecture de fiction profite à la fois à notre santé physique et mentale, et ces avantages peuvent durer toute une vie. Ils commencent dans la petite enfance, lorsque nos parents nous lisent contes et histoires, et se poursuivent au cours des années de l’adolescence puis de l’âge adulte.
Les chercheurs appellent la « théorie de l’esprit » (theory of mind – ToM) la capacité de réfléchir aux pensées et aux sentiments des autres. Il s’agit d’un ensemble de compétences essentielles pour construire, naviguer et maintenir des relations sociales.
Des recherches en psychologie suggèrent ainsi que la lecture peut améliorer la capacité d’être en empathie et de comprendre les pensées et les sentiments des autres. On trouve des scores plus élevés chez les lecteurs de fiction que les non-lecteurs, même si l’on prend en considération les facteurs d’âge, de sexe, d’intelligence et de personnalité. Même pour la lecture en termes de développement personnel et de travail sur soi-même, on a pu constater une corrélation avec ce qu’on appelle la cognition sociale – la capacité de comprendre les sentiments et les pensées des autres.
Comment réagit notre cerveau lorsque nous sommes captivés par une fiction ?
Une étude de l’Université de l’État de l’Ohio (4), publiée en mars 2021 dans la revue Social Cognitive and Affective Neuroscience, a utilisé les personnages de « Game of Thrones », afin d’observer ce qui se passe dans le cerveau lorsqu’on se plonge dans une fiction. Elle a révélé que plus les participants s’immergeaient dans l’histoire, plus ils s’identifiaient à l’aventure, jusqu’à se « fondre » dans la peau des personnages pendant leur lecture. Mais cela, si vous êtes amateur de lecture, vous le saviez déjà, n’est-ce pas ?
En effet, lorsqu’une histoire est passionnante, nous la vivons au fur et à mesure de notre lecture. Tel un metteur en scène, nous plantons le décor, mettons en place une scénographie, des costumes, et réalisons même notre propre « casting », mobilisant ainsi de nombreuses ressources cérébrales, cognitives et imaginatives. Les chercheurs ont ainsi constaté des changements significatifs de l’activité cérébrale dans le cortex préfrontal ventromédian, une zone qui est associée à la réflexion sur soi.
Dix-neuf personnes, fans de la série Game of Thrones, ont participé à cette étude. Cette série dramatique fantastique aux intrigues complexes, qui présente des conflits politiques et militaires entre les familles régnantes de deux continents fictifs, a réussi à conquérir le cœur et surtout les esprits de millions de fans grâce notamment à sa grande variété de personnages auxquels les gens peuvent s’identifier et s’attacher. Les participants à l’étude ont indiqué le personnage dont ils se sentaient le plus proches et qu’ils appréciaient le plus. Ils ont dû remplir un questionnaire, en s’évaluant eux-mêmes, leurs amis et les personnages de la série. Pendant le processus d’analyse scientifique, leurs crânes étaient scannés en temps réel afin de mesurer l’activité de diverses parties du cerveau grâce aux petits changements dans le flux sanguin.
La partie du cerveau appelée cortex préfrontal médian ventral (vMPFC) présente une activité accrue lorsque les gens pensent à eux-mêmes et, dans une moindre mesure, à leurs amis proches. C’est pourquoi les chercheurs ont choisi de comparer l’impact des personnages de fiction de la série dont ils étaient fans à celui des amis
Il est apparu que pour les personnes qui s’identifiaient fortement aux personnages de la série, cette zone du cerveau était plus active lorsque celles-ci pensaient aux personnages que pour les participants s’identifiant moins à eux.
Selon les auteurs de l’étude, ces résultats permettent d’expliquer pourquoi la fiction présente un impact plus important sur certaines personnes. Si nous savons tous que nous avons tendance à nous identifier à certains personnages imaginaires qui nous captivent, l’étude prouve que cette identification se manifeste clairement dans notre activité cérébrale. De plus, la zone neuronale active indique qu’il y a une superposition entre le soi et l’autre (le personnage que nous apprécions ou auquel nous nous identifions) pouvant aller jusqu’à une modification de nos attitudes et croyances.
Les résultats de cette étude suggèrent donc que l’identification aux personnages de fiction conduit les personnes à incorporer ces personnages dans leur propre concept du soi. De cette manière, la lecture de fiction ou le visionnage de films basés sur de la fiction aident le lecteur ou le spectateur à ne plus se sentir seul puisqu’il se rapproche tellement des personnages qu’il les considère comme faisant partie du soi ou comme un modèle à suivre.
Lire de la fiction : les bienfaits démontrés dans les études scientifiques
Plusieurs études se sont penchées sur les bienfaits que les textes de fiction pouvaient avoir sur l’être humain et nous allons en développer quelques exemples.
1. Une étude publiée en 2005 (1) a tenu à tester plusieurs hypothèses à ce sujet.
Vingt-six participants, âgés de 19 à 26 ans, ont subi un scanner de neuroimagerie fonctionnelle tout en lisant des extraits littéraires conçus pour engendrer à la fois des simulations de scènes physiques vives et des simulations de contenu social. En complément au scanner, les participants ont fourni des mesures de leur comportement de lecture et de leur capacité ToM.
Le lien entre la lecture de fiction et la ToM s’analyse à plusieurs niveaux.
Psychologiquement, les lecteurs de fiction possèdent des capacités sociocognitives plus fortes que les non-lecteurs, confirmant ainsi ce fait déjà mis en évidence par des études antérieures (Mar et al., 2006 (2), 2009 (3), 2010 (4) ).
Sur le plan neurologique, la lecture de fiction et la cognition sociale utilisent un réseau de neurones qui se chevauchent comme le montrent deux autres études de 2004 (5) et de 2011(6) L’étude de 2005 vient confirmer les résultats précédents, et les rassemble également pour tester deux hypothèses sur la nature de cette relation entre les textes de fiction et la ToM.
Premièrement, cette étude démontre que la lecture de fiction utilise le réseau neuronal par défaut, car elle suscite au moins deux types distincts de simulations : la simulation de scènes physiques vives et la simulation des personnes et des esprits.
Deuxièmement, la lecture de fiction peut avoir un impact sur la ToM à travers son influence sur la base neuronale de la simulation sociale. Les résultats suggèrent que tout effet positif de la lecture de fiction sur les capacités sociocognitives pourrait être dû à l’influence de la lecture sur les réseaux de neurones impliqués dans la simulation de contenu social, et non de scènes vivantes non sociales.
2. Une étude de 2009 (7) a eu pour objectif de mesurer les effets du yoga, de l’humour et de la lecture sur le niveau de stress des étudiants américains dans des programmes exigeants en sciences de la santé.
L’étude a révélé que trente minutes de lecture faisaient baisser la tension artérielle, la fréquence cardiaque et le sentiment de détresse psychologique tout aussi efficacement que le yoga et l’humour. Ce résultat est important, car il prouve que grâce à ces interventions, une réduction significative du stress a pu être enregistrée en un laps de temps relativement court, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour les différentes stratégies de gestion du stress.
3. Par ailleurs, une étude de 2013 (8) a montré que les personnes qui lisent de la fiction font preuve d’une capacité accrue à comprendre les sentiments et les croyances des autres.
C’est en somme le même constat que celui obtenu par l’étude de l’Université de l’État de l’Ohio dont nous vous parlions au début de cet article. Même s’il est évident qu’une seule session de lecture n’est pas suffisante pour amener à ces capacités d’empathie, les recherches montrent que les lecteurs de fiction à long terme ont tendance à développer et entretenir une théorie de l’esprit mieux développée.
Enfin, citons le philosophe britannique Sir Roger Scruton qui disait que « La consolation par des choses imaginaires n’est pas une consolation imaginaire. »
Il n’est donc pas étonnant que les personnes souffrant de solitude, d’anxiété ou de dépression puissent trouver leurs angoisses diminuées grâce à la lecture qui leur permet de se plonger dans des univers parallèles.
Alors, quels sont les bénéfices pour vous ?
La lecture de fiction peut vous permettre, grâce à la suspension d’incrédulité qu’elle suppose, d’échapper temporairement à la réalité et de vous laisser emporter par les expériences des personnages. Cette escapade est saine, car elle vous permet à terme de développer votre empathie et de pouvoir considérer les interactions sociales sous plusieurs angles, de comprendre les points de vue différents des uns et des autres. Elle diminue l’anxiété, le stress et peut combattre la dépression ou le sentiment de solitude.
Convaincus ? À vos fictions, prêts, lisez ! Et surtout, partagez-nous en commentaire vos meilleurs textes et romans de fiction !
Références
(1) Reading fiction and reading minds: the role of simulation in the default network
Diana I. Tamir, Andrew B. Bricker, David Dodell-Feder, and Jason P. Mitchell; (2016 – Reference to study 2005); Soc Cogn Affect Neurosci. 2016 Feb; 11(2);
(2) Mar R. A., Oatley K., Hirsh J., dela Paz J., Peterson J. B. (2006) Bookworms versus nerds: exposure to fiction versus non-fiction, divergent associations with social ability, and the simulation of fictional social worlds. Journal of Research in Personality, 40(5)
(3) Mar R. A., Oatley K., Peterson J. B. (2009) Exploring the link between reading fiction and empathy: ruling out individual differences and examining outcomes. Communications, 34(4)
(4) Mar R. A., Tackett J. L., Moore C. (2010) Exposure to media and theory-of-mind development in preschoolers. Cognitive Development, 25(1)
(5) Mar R. A. (2004) The neuropsychology of narrative: story comprehension, story production and their interrelation. Neuropsychologia, 42(10)
(6) Mar R. A. (2011) The neural basis of social cognition and story comprehension. Annual Review of Psychology, 62(1)
(7) Stress Management Strategies For Students: The Immediate Effects Of Yoga, Humor, And Reading On Stress, (January 2009), Journal of College Teaching and Learning
(8) Reading literary fiction improves theory of mind, David Comer Kidd, Emanuele Castano; (2013) National Library of Medecine; Randomized Controlled Trial, 2013 Oct 18; 18;342(6156):377-80. Epub 2013 Oct 3 Science
“Becoming the King in the North: identification with fictional characters is associated with greater self–other neural overlap” by Timothy W Broom, Robert S Chavez, Dylan D Wagner (2021). Social Cognitive and Affective Neuroscience; nsab021
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