L’attachement dans la relation thérapeutique

16 décembre 2020
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Auteur: Blog iepra

La création et la préservation d’un lien thérapeutique avec des patients dont l’aptitude à être en lien se veut très complexe,
demandent au thérapeute d’autres compétences que de basiques « qualités humaines ».

Les relations d’attachement précoce sont le noyau de la dynamique transférentielle.
La mémoire implicite de ces relations établit une organisation neuronale constante qui agit sur la régulation affective et les attitudes relationnelles.

Mise en lumière par la neurobiologie, la psychothérapie peut être appréhendée comme une relation d’attachement soumise à l’examen de la mémoire implicite et au renforcement de nouveaux schémas neuronaux
propres à développer un attachement sécure.

Quelles contributions les neurosciences affectives apportent-elles dans des cas de bouleversements extrêmes du système émotionnel ?

Point de vue théorico-clinique

En tant que gestalt-thérapeute, votre approche thérapeutique consiste à provoquer un changement personnel, psychosocial et organisationnel chez vos patients.

La gestalt-thérapie se concentrant sur l’interaction permanente de l’homme avec son environnement, il est intéressant de se pencher sur les théories de l’attachement et des apports des neurosciences affectives qui peuvent déteindre sur votre manière de suivre vos patients victimes de troubles récurrents dans leurs façons de vivre les liens. La plupart de ces patients font face à de forts sentiments dépressifs, à des angoisses de vide ou d’engloutissement, semblables à des ressentis schizoïdes.

Selon Stern, la gestalt-thérapie ne porte pas assez d’intérêt aux recherches sur l’attachement précoce et aux études en neurosciences affectives, surtout concernant les liens précoces entre les nourrissons et leurs parents, et leurs conséquences sur la construction psychique. D’après lui, il « existe de nombreuses interrogations sur la phénoménologie du présent pour lesquelles une base neuronale et développementale devrait se révéler intéressante ».

Aujourd’hui, nous avons accès à de nombreuses études sur le mécanisme de dysrégulation affective durant le développement précoce et sur leurs conséquences pathogènes sur le long terme. Citons par exemple, les travaux d’Allan N. Schore et Peter Fonagy qui s’intéressent à la régulation des affects dans la constitution des liens mères/enfants, et les répercussions pathogènes des attachements insécures ou anxieux dont sont victimes ces enfants.

Inspirées des théories de l’attachement de John Bowlby, Allan N. Schore et Peter Fonagy vont encore plus loin en incluant les dernières découvertes sur les connexions entre le développement neuroral et les aptitudes à créer des liens. En effet, la régulation des affects entre un nourrisson et ses parents aurait une incidence primordiale dans la construction psychique de ce nouveau-né, mais également dans le développement de ses structures neuronales et de ses compétences à créer le contact.

La régulation des affects, un processus complexe…

La régulation des affects entre une mère et son nourrisson va offrir la possibilité à ce nouveau-né de découvrir des apprentissages essentiels à son bon développement. Ainsi, il va pouvoir apprendre à ressentir, tolérer, autoréguler et reconnaître les émotions fortes.

L’harmonisation de ces cycles émotionnels entre la mère et son enfant s’élabore par des regards et des contacts affectifs, tenus de s’orchestrer de façon synchronisée, suivant un tempo bilatéral d’engagement et de désengagement, puis de réengagement. La mère se doit également de créer des ajustements, en fonction du potentiel émotionnel et cognitif de son enfant. C’est ce que Stern nomme « cycle d’accordage/désaccordage ». Tout au long des échanges affectifs et sociaux, c’est donc elle qui s’aligne à son nourrisson et qui modère les affects présents, en équilibrant son propre niveau d’activité à celui de son enfant. Ainsi, elle veille à ce que son nourrisson ne se sente pas hyper stimulé et dépassé ou au contraire hypo stimulé et trop inactif.

Dans le cas où le nouveau-né serait submergé d’émotions fortes, il est primordial que la mère lui autorise une temps de pause, pour qu’il retrouve ses esprits et qu’elle patiente jusqu’au prochain signal de l’enfant, avant de recommencer l’interaction. Ainsi, elle modulera son propre état affectif pour nuancer l’intensité de stimulation de son enfant. De ce fait, la mère va permettre à son enfant de ressentir des affects de différentes intensités, et d’apprendre à tolérer des affects négatifs, en regagnant la sécurité.

« Les expériences relationnelles avec les premiers objets sont non seulement enregistrées dans l’inconscient profond, mais elles influenceront le développement des systèmes psychiques qui traiteront l’information inconsciente pour la vie entière … avec pour conséquence de façonner de manière permanente les capacités adaptées ou inadaptées de l’individu d’établir par la suite l’ensemble de ses relations interpersonnelles. » ( Allan Schore). Ainsi, si un nourrisson est trop souvent exposé à d’importants niveaux de stress lors du processus d’attachement, celui-ci pourrait être victime d’un déséquilibre du contact (phénomènes de micro-dissociations) qui se présenterait par des absences, de la confusion, de mini passages à l’acte.

La dissociation, un phénomène de défense compliqué…

Ce processus est la clé de la stabilité mentale et physique lors d’événements traumatiques.

La personne est comme anesthésiée émotionnellement et cognitivement de la situation, elle peut ainsi s’acclimater physiquement à la problématique, se normalisant ainsi face aux attentes extérieures. Lorsque la dissociation se poursuit dans le temps, lors d’une situation relationnelle traumatique, la personne n’est plus capable de ressentir des besoins et émotions en rapport avec le trauma. Ainsi, la cicatrice émotionnelle liée à cette situation et ses conséquences n’ont plus d’emprise sur la personne.

Ce phénomène est une défense prédominante chez les patients victimes de personnalités multiples, de stress post-traumatique, de personnalité schizoïde, et également chez des patients atteints d’anxiété ou de dépression.

Ces patients se sont rendus compte qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes pour se rassurer et prendre soin d’eux face à des situations qui les submergent, ou face à une quasi-absence de stimuli. Ne pouvant compter sur une relation de présence fiable, les défenses se consolident.

Comment se servir de ces études en tant que thérapeute ?

Il est tout à fait possible que de nombreux patients schizoïdes ou dépressifs (de manière durable), aient accumulé des événements affectives traumatiques lorsque leur organisme ; en pleine construction, s’est retrouvé débordé, ou au contraire, sous stimulé. Des études avancent même que des nourrissons trop concentrés à se dissocier, dépensent une telle énergie, que leur développement affectif, neuronal et cognitif ne sont plus des priorités…

Les processus de dissociation installés durant la période de pré-langage, se répètent au présent, lors de situations relationnelles où l’intimité affective prédomine, déclenchant ainsi des ressentis et des émotions de fortes intensités. Ces patients sont souvent dans l’incapacité de ressentir et d’identifier ces affects. Au niveau clinique, ces personnes font face à des sensations de vide, de désappropriation corporelle, d’angoisse, de troubles psychosomatiques et d’absence de désir.

Les processus corporels et comportementaux se traduisent par une négligence corporelle, des retards fréquents, un irrespect des frontières, des somatisations, des annulations de séances, des ruptures de contact durant une séance, des micro-dissociations instantanées en raison d’une réponse inappropriée du thérapeute, etc. Ainsi, quand le contact se traduit avec trop de force pour le patient, la dissociation peut immédiatement se produire, tout comme le fait de se sur-adapter ou de se replier.

Afin d’éviter la multiplication de ces incidents, le thérapeute doit pouvoir se laisser imprégner assez longtemps par ces affects, prendre le temps de répondre sans agir trop rapidement, ne pas demander trop de détails sur le vécu, ne pas s’engager à poser de multiples questions, et ne pas bloquer le patient sur ce qu’il ressent physiquement et émotionnellement.

Si le thérapeute et le patient n’arrivent pas à être en harmonie, le désaccordage se produit, pouvant causer la répétition d’un souvenir traumatique chez le patient… Retenez bien que c’est par le silence, le vide, l’absence de forme, la confusion et par la désappropriation sensorielle du corps, que vos patients vont entrer en contact et traduire leurs états émotionnels angoissés, perdus et confus (et non pas par la parole).

Par ailleurs, restez attentif aux détails, car certains peuvent être d’une importance capitale. Les changements de rythme, l’abandon brusque d’un thème et les mises en actes plus prononcés lors des séances, témoignent qu’un désaccordage affectif s’est produit…

Désaccordage affectif entre le thérapeute et son patient

Pour ne pas prolonger la dissociation et le désaccordage, le thérapeute doit pouvoir être capable de se laisser aller affectivement dans l’expérience traumatique de son patient, tout en faisant un travail de reconnaissance de son propre système de défense face aux affects de son patient.

Si le thérapeute se risque à ne pas suivre ces étapes, le client serait alors de nouveau plongé dans une spirale infernale de cycles traumatiques, semblable aux troubles de l’attachement dont il a été victime durant son enfance.

En effet, si la régulation n’est pas réalisée par le thérapeute, son patient s’engouffrera dans une phase d’hyperactivation avec un besoin et une attente, par une phase de retrait, puis de dissociation ; sans que l’affect soit ressenti, ni régulé. Dans ce cas, le patient se modulera alors, pour se protéger soi-même ainsi que la relation…

Pour les fondateurs de la Gestalt-thérapie et d’autres personnalités ; « c’est le contact qui est la réalité première la plus simple », « la personnalité est une structure qui se crée à partir de relations interpersonnelles précoces et habituellement lors de sa formation, il y a déjà eu incorporation d’une énorme quantité de matériel étranger, inassimilé ou même inassimilable… ».  Les patients victimes d’attachement insécures devront faire face à d’importantes difficultés lors de la création de leurs liens envers l’autre, et également dans les relations d’intimité qui nécessitent des compétences de partage et de régulation des affects, telles que la honte, la rage, la terreur, le désespoir, etc.

En tant que thérapeute, il vous est donc primordial d’entamer un lent cheminement de régulation, dans le but que le patient puisse réapprendre ; d’une nouvelle manière, à se réapproprier les affects mal réglés et inassimilés.

Comment mettre ces constats en application avec un patient ?

Bien plus que de simples qualités humaines, le travail que vous allez devoir fournir va vous demander de réels efforts.

Le thérapeute va devoir exercer sa capacité à tolérer une énorme tension psychique, du fait que son patient va souffrir de ses états somatoaffectifs. Ainsi, le thérapeute va devoir entamer un cheminement de laisser-aller, afin de prendre complètement part aux expériences angoissantes de son patient, telles que le désir de mort, l’engloutissement, la confusion, l’éclatement.

Par ailleurs, le thérapeute devra être capable d’accepter que son patient se montre silencieux, lent, confus, angoissé, tout en ayant conscience que ces états peuvent affecter le thérapeute, provoquant une absence de réponse ou une confusion…

Accepter le déséquilibre

Le thérapeute doit être apte à ressentir, sur une longue durée, les états somatoaffectifs dysrégulés de son patient.

Tout d’abord, le thérapeute doit pouvoir identifier les ressentis qui l’envahissent, les laisser librement parcourir son être, et surtout les accepter. Cette étape est primordiale et déterminera la suite du travail avec le patient. En effet, cette acceptation va permettre la régulation thérapeute-patient.

Le patient ressentira ainsi que le thérapeute unit leurs forces, sans pour autant que le thérapeute se dysrégule émotionnellement. Le dépassement de soi par le thérapeute est essentiel, même s’il n’est pas aisé d’être en accord avec le fait de se sentir menacé, incompétent, limité et empli de ressentis désagréables…

C’est grâce à la faculté du thérapeute à éprouver ces affects (sans pour autant perdre ses moyens) et à les conserver de façon durable, que l’hétérorégulation naîtra et que l’autorégulation prendra place…

Se contenir

Le thérapeute doit s’en tenir à une démarche lente, ne pas noyer son patient d’interrogations, sans chercher à mettre des mots sur la situation. S’en tenir à une séance « corporelle » avant de se lancer dans un traitement verbal.

Être capable d’identification

La relation thérapeute-patient sera constructive ou destructive en fonction des ressentis émotionnels et corporels, et de la faculté d’autorégulation.

Réussir à partager

Le thérapeute doit être en mesure de partager ses ressentis, mais aussi être capable de les imager en ayant recourt aux qualités sensorielles, visuelles, kinesthésiques. Le thérapeute doit pouvoir laisser de côté le langage rationnel.

Le thérapeute doit se sentir apte d’oser sortir de sa zone de confort en s’engageant réellement, en croyant fermement au potentiel du duo afin que le patient puisse devenir, petit à petit, co-thérapeute.

Faire preuve d’engagement

Le thérapeute ayant laissé de côté le langage rationnel, il doit se sentir capable de lenteur, de simplicité et d’intégrité lors d’échanges avec son patient.

Savoir se dévoiler

Le thérapeute devra laisser tomber le masque en dévoilant ses propres affects vécus dans la situation actuelle, sur sa propre perception du vécu présent. Le thérapeute doit pouvoir se concentrer sur ses compétences à réfléchir à ce qu’il se passe actuellement entre ce duo, en se retenant de laisser libre court à ses réactions…

Grâce à cet article, vous êtes désormais en mesure de comprendre  qu’il faut bien plus que de basiques qualités humaines pour créer et préserver un lien thérapeutique.

Le thérapeute doit pouvoir accepter d’être « maniable »,  en autorisant les affects à prendre de la place, tout comme les ressentis viscéro-corporels.

Bien évidemment, le thérapeute doit également être en mesure de les tolérer sur le long terme, tout en faisant un travail d’identification des instants de désaccordage.

C’est la patience et la tolérance à la lenteur du thérapeute, qui permettront de débuter un travail de régulation des affects.

Par ailleurs, grâce à ce cheminement, le patient sera alors capable d’identifier son vécu affectif, d’apprendre à le tolérer, à mettre des mots dessus et à rechercher le sens.

Ainsi, un nouveau schéma se dressera, avec des phases éventuelles entre le passé et la situation actuelle.

 

Pour aller plus loin:

2 Commentaires

  1. Aicha Amar

    Cet article illustre parfaitement la relation aidant/ aidé.

    Dans le cadre des fonctions que j’ai occupées en tant qu’éducatrice spécialisée, j’ai observe que le premier contact, à savoir l’accueil, la rencontre de la personne en situation de souffrance, va de fait définir le lien créé dans cette première interaction.
    esouvent, pour ne pas dire presque toujours Et je tiens a remercier toute l’équipe de iepra pour le plaisir de vous lire.
    Brillamment explicité dans cet article, il convient au professionnel de la relation d’aide d’oberser tous les paramètres de cette relation primaire qui « se joue ». Ainsi, la relation « aidant/aidé » s’inscrit inévitablement dans une sphère thérapeutique empreinte d’affects que l’on doit conscientiser.
    Un grand merci à toute l’équipe de iepra pour le plaisir de vous lire et vous relire…

    Aicha Amar
    Une future étudiante !

  2. Sabine L

    Merci pour cet article fort intéressant, qui met en exergue l’alliance thérapeutique mais surtout les qualités d´observation et de connaissance de soi en tant que thérapeute pour adopter la bonne posture afin de guider le client vers l’auto régulation…en conscience.

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